It comes at night
de Trey Edward Schults
L’année dernière, un sort avait frappé The Witch de Robert Eggers, accusé de ne pas avoir offert le film décrit dans sa promotion. Dans les couloirs du métro et les bandes-annonces, une campagne marketing nous promettait le film d’horreur estival, une savoureuse gourmandise d’action horrifique pour nos boules à hormones boutonneuses. À sa sortie, la rumeur se répand : des spectateurs quittent la salle avant la fin et les mauvaises critiques du public (deux étoiles sur le site Allocine) se multiplient. Face à ce phénomène, on se dit qu’on est peut-être face à un énième navet du genre. Lors de la projection, on découvre avec surprise un film élégant et sensoriel, inspiré des peintures classiques et baroques du XVIIe siècle. Une mauvaise promotion qui a injustement condamné The Witch à avoir une mauvaise réputation.
Un an plus tard, la même Infortune a destiné It comes at night de Trey Edward Schults à avoir un parcours similaire.
Dans un monde ravagé par une mystérieuse pandémie, Paul vit dans une forêt reculée avec sa femme et son fils. En venant en aide à une famille, le trio met en place des règles strictes pour maintenir un ordre de plus en plus fragile.
L’humanité au bord du chaos
Une respiration douloureuse dans l’obscurité précède la vue d’un corps maigre et affaibli, infecté de boules pestilentielles. Près de lui, un deuxième personnage portant un masque à gaz fait des adieux déchirants à son père mourant, avant de le voir emmené par deux autres protagonistes masqués. Bien que la présence des masques à gaz nous fait clairement comprendre que nous sommes face à un contexte exceptionnel – amplifié par la mise à mort du vieil homme par un coup de revolver après un « Désolé, Bud » – nous avons été témoin d’une expérience humaine universelle, vieille comme le monde : le départ d’un proche dans l’autre monde.
Cette première scène, fabuleusement bien montée, pose les bases de l’univers du film ; un monde post-apocalyptique, détruit par cette étrange infection dont avait été victime Bud, aux symptômes très similaires à la peste, dont la peinture médiévale accrochée à un mur y fait clairement référence. Néanmoins, la scène d’exécution est suivie par un dîner familial très intimiste : Paul, le mari, assis au centre de la table tel un patriarche, tente de réconforter sa femme Sarah, en pleurs pour la mort de son père. Pendant ce temps, leur fils Travis, jeune garçon de 17 ans, reste silencieux dans sa douleur. À travers ses veillées nocturnes, l’adolescent ressasse ses profondes angoisses : la mort violente de son grand-père, sanglante et pestilentielle, une vie recluse avec ses parents apeurés dont un père autoritaire… Au cours de ces heures obscures, la frontière séparant le cauchemar et la réalité devient de plus en plus mince.
Mêlant le deuil, les liens familiaux et la peur de la contamination, le film expose très rapidement ses thématiques, qu’il confronte après l’intégration d’une autre famille aux abois dans la maison de Paul et de Sarah. Comme dans la série The Walking Dead, on est tiraillé entre sauver son prochain et maintenir sa sécurité, un dilemme compréhensible qui n’est pas baigné, fort heureusement, par un manichéisme candide. En effet, l’humanité n’avait jamais aussi peu brillé que lorsqu’elle se mettait à vaciller.
« Quand je pense que je pestais toute la journée contre mes élèves de 4ème B… »
De la peur à la psychose destructrice
En mari et père protecteur, Paul agit comme un chef de famille responsable et aimant. Les membre de sa famille constitue sa seule priorité et sa demande de ne pas venir le chercher lors d’une expédition s’il ne revenait pas le rend assez touchant et attachant… Ou presque.
Mettre en place les règles établies par Paul ont donné naissance à une micro-société à l’apparence stabilisée mais de plus en plus tendue par la psychose de ce dernier. Le moindre éternuement peut sembler suspect. En suivant le point de vue de la première famille, notamment celle de Travis, plusieurs éléments du comportement des autres protagonistes nous interpellent, jusqu’à transformer les spectateurs en véritables paranoïaques : psychose de la contamination, du pillage de vivres, du sadisme humain etc.
« Ensemble, tout ira bien »
Le génie du réalisateur a été d’assumer le mystère jusqu’au bout. Tout événement implique une interprétation individuelle du spectateur, sans avancer le dangereux « démerdez-vous », qui peut être une solution de facilité d’écriture. Ici, il devient un véritable écho sur la situation psychologique des personnages. La tension de l’autre famille se développe également par la peur de la réaction de Paul, effrayée d’être tuée pour une simple grippe. Poussée par une peur primaire de la mort, l’instinct de survie précipite la nature humaine à des réactions irrationnelles, jusqu’à considérer la violence comme une option nécessaire.
It comes at night / The witch : les promoteurs ont-ils infantilisé le public ?
Au cours de la séance, plusieurs personnes avaient quitté la salle, dont des groupes d’adolescents. Malgré la qualité de l’œuvre, je n’avais pas été surprise de leur départ : le petit jeune de 15 ans ayant amené ses copains pour des sensations fortes s’était retrouvé, un peu gêné, face à un film assez lent – sans être contemplatif – prenant son temps pour faire progresser la psychologie des personnages, dans un ton grave et parfois dramatique. La morbidité de l’univers peut également transmettre un profond malaise, comme dans les cauchemars de Travis et la réapparition de son grand-père agonisant.
On ne pourrait reprocher à ces jeunes – ou vieux – spectateurs avides de petits nanars horrifiques et divertissants, d’avoir protesté car It comes at night ne fut pas le nouveau Paranormal Activity. Mais le problème ne vient pas du film en lui-même. Celui-ci est, comme The witch, maitrisé et intéressant en tout point de vue, avec un casting parfaitement bien dirigé – dont une mention spéciale pour les interprètes masculins. En raison de son emprunt à certains codes de l’épouvante, il a été victime d’une campagne de promotion dirigée vers un public habitué à un certain style du cinéma d’horreur, probablement pour des raisons opportunistes commerciales.
Nous sommes bien loin de l’hybridation des genres de cinéma, comme à l’époque de Cronenberg, voire même de Carpenter. Aujourd’hui, les catégories ont établi des frontières infranchissables, comme si un film dramatique ne pouvait pas côtoyer le thriller, l’action ou l’aventure. Davantage que les autres genres depuis les années 2000, l’horreur s’est recroquevillé pour ne devenir, aux yeux de certains promoteurs, qu’un divertissement pour une assemblée de kikoolol accompagnées de leurs petits copains protecteurs. Il suffit de se pencher sur l’évolution de la saga The Ring pour comprendre sa terrible destinée (de 1999 à aujourd’hui), malgré quelques petits miracles comme The Conjuring de James Wan (2013), It follows de David Robert Mitchell (2014) et le Franco-belge Grave de Julia Ducournau (2017).
En infantilisant le public, comme incapable d’apprécier un film comme It comes at night, la campagne publicitaire a préféré attirer des consommateurs faciles à pêcher, jusqu’à sacrifier la réputation de leur « produit ». Mais ce phénomène renvoie à une conséquence bien plus grave que cette croyance en la connerie du spectateur : celle du manque de confiance en ces projets artistiques. Une triste réalité qui piétine les efforts de réanimer un certain cinéma par de jeunes auteurs pourtant talentueux.
En attendant la Justice League of Art pour mettre de l’ordre dans tout ce foutoir, je n’éprouve qu’une triste sympathie et reconnaissance pour cette expérience de cinéma, en bénissant le fait de n’avoir croisé ni bande-annonce, ni synopsis sur mon chemin, avant de découvrir la première scène si poignante d’It comes at night.